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Quatre éléments superposés

pierre soulage

Pierre Soulages
Peinture (1991)
Huile sur toile, quatre éléments superposés (81 x 362 cm)

Pierre Soulages est né en 1919 près de Rodez. Très jeune il est impressionné par les menhirs gravés de son Rouergue natal et la peinture paléolithique où domine le noir.
Adolescent, il décide de devenir peintre. Admis au concours d’entrée de l’école nationale des Beaux-Arts de Paris, mais déçu par l’enseignement dispensé qu’il juge conservateur, il n’en suit pas les cours.
À partir de 1946, il se consacre exclusivement à la peinture. Ses premières œuvres aux couleurs sombres tendent déjà vers l’abstraction.
Dès 1960, il oppose dans ses toiles aux tons noirs dominants des traits de rouge à l’éclat de braise, des Bleus aquatiques, comme des trouées dans l’espace.
Le début des années 50 marque pour Soulages le commencement d’une reconnaissance institutionnelle, lorsque de grands musées comme la Tate Gallery ou le Museum of Modern Art de New York acquièrent plusieurs de ses toiles. Cette reconnaissance est couronnée par la commande publique de vitraux destinés à l’abbatiale de Conques, qui l’a fasciné dans son enfance.
Célèbre, il a consacré 8 ans de sa vie, à faire fabriquer des verres spéciaux gris et beige en harmonie parfaite avec les tons des pierres et leurs rythmes verticaux irréguliers.
L’oeuvre de Soulages s’inscrit dans le renouveau de la peinture abstraite au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.
Pour parvenir au dépouillement absolu de ses toiles, Soulages s’enferme dans son atelier de Sète, comme un moine dans le silence et le recueillement de sa cellule. C’est une œuvre authentique qui, à travers toutes ses évolutions, est restée la quête absolue de son enfance, après sa découverte à Conques, du jeu de contrastes violents entre l’ombre et la lumière, entre la nuit et le jour, entre la cécité et l’aveuglement.
C’est pourquoi toute l’œuvre  de Soulages exprime ce déchirement. Comme tous les grands peintres, il est un adorateur de la lumière, un contemplateur de la nuit. Aussi, paradoxe de son oeuvre, c’est par le noir qu’il va accéder avec intensité à sa lumière intérieure, à son âme la plus secrète.
Cette œuvre est un tableau fascinant et d’autant plus mystérieux qu’il déconcerte celui qui le découvre. Il est un puissant stimulant de l’imagination et réclame la participation du spectateur. Pierre Soulages dit que pour accéder à l’émotion d’un tableau, figuratif ou abstrait, il doit y avoir communion entre trois éléments différents : le peintre qui a fait ce tableau unique, le spectateur qui le regarde avec sa sensibilité particulière et l’oeuvre elle-même, qui échappe à tout jugement ayant sa propre vie, la seule composante en perpétuelle évolution étant bien sûr le regard du spectateur qui peut changer suivant les regards de chaque époque.
Ce n’est pas sans raison que l’on a comparé ses tableaux à des architectures, un barrage derrière lequel s’accumulent toutes les forces d’une eau prête à jaillir. Devant cette toile noire, que se passe-t-il ?  L’espace n’est pas seulement la toile elle-même , mais aussi ce qui est devant :  la lumière qu’elle parvient à capter. Des ténèbres va naître la lumière.
Pour cela, Soulages joue avec le rythme de ses larges pinceaux de bâtiment ou de ses couteaux à palette qu’il fabrique lui-même. Par cette alchimie de la matière, les tons se rabattent, s’entrecroisent et parfois s’étouffent  suivant le travail des empâtements et les effets de glacis imperceptibles.
Les différences de traitement de cette matière permettent alors des effets d’irisation de la lumière comme le feraient des facettes de nacre réfractant toutes les couleurs du spectre lumineux. On pourrait ainsi comparer sa recherche à l’effet de la «moire» créé par les écrasements irréguliers du grain du tissu entre deux cylindres qui n’est rendu visible par que par la réfraction de la lumière sur cette texture écrasée.
Ce qui compte pour le peintre, c’est la lumière que renvoie le tableau au spectateur, tableau qui se modifie selon la position du spectateur et l’incidence de la lumière qu’il réfléchit.
Ainsi d’une surface noire monochrome à la texture travaillée surgissement des parties gris anthracite striées de blanc. Pour atteindre la lumière qui éclate derrière la toile, il faut, avec la démarche mystique de Soulages, traverser la nuit pour entrer dans un autre monde.
La technique de Pierre Soulages est limitée. Pour peindre, il utilise des brosses de peintre en bâtiment que l’on appelle «queue de morues» et étale sa matière picturale, en larges coups de pinceau, qui ne sont jamais nets ni calculés. C’est son geste, par l’intermédiaire de son outil, qui assure une texture dense à cette matière noire et mystérieuse, permettant d’y faire jouer la lumière comme dans les effets de clair-obscur d’un Rembrandt.
La peinture est à ses yeux essentiellement la trace d’une gestualité. La lumière est obtenue par des effets de traitements différents de la surface, entre autres par des raclages de la spatule qui accentuent l’intensité du noir et dessinent des stries qui laissent apparaître le blanc de la toile par un écrasement et un étalement plus marqués des surfaces.
Il écrira : « Ce qui se passe sur un tableau, qui d’objet en cours de fabrication devient tout à coup quelque chose de vivant me semble échapper aux mots. »

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